Situation banale : une classe de 30 élèves, un texte à lire, puis on leur pose des questions sur ce document.
Sur les 30 élèves, 5 n'ont pas leur livre, et se désintéresse du cours d'anglais de toutes façons. 30 - 5 = 25
Sur les 25 élèves restant, 5 regardent en direction de leur livre, sans vraiment lire le texte. 25 - 5 = 20
Sur les 20 élèves restant, 5 n'ont pas compris le texte. 20 - 5 = 15
Sur les 15 élèves restant, 5 ne comprennent pas ce que le prof leur demande ou ne connaissent pas la réponse. 15 - 5 = 10
Sur les 10 élèves restant, 5 savent à peu près la réponse, mais ne savent pas comment le dire en anglais. 10 - 5 = 5
Sur les 5 élèves restant, un voudrait sortir avec sa voisine et se demande comment s'y prendre, et un autre ne se sent vraiment pas bien aujourd'hui. 5 - 2 = 3 élèves
Je caricature ? Oui, bien sûr, mais peut-être pas tant que ça !
Le cours de langue
Langue authentique et langue enseignée
En langue orale les deux personnes principales sont la première et la deuxième, et pourtant elles ont quasiment disparu
du lycée et même hélas dès le collège. En France, on fait travailler la langue du commentaire au lieu de la langue orale.
Considérez les exemples suivants :
"J'ai faim." est une phrase que nous avons tous prononcée de nombreuses fois.
"Tu as faim?" est également très courante.
"Elle a faim." est déjà plus rare. Essayez d'imaginer dans quels contextes vous avez pu dire cette phrase.
Maintenant, combien de fois dans votre vie avez-vous prononcé : "Elle a dit qu'elle avait faim."? A moins d'avoir une
vieille tante dure d'oreille, très probablement jamais! Et pourtant, c'est celle que nous faisons travailler à nos élèves :
le style indirect est considéré comme un passage obligé du cours d'anglais.
"Elle est petite tandis que son frère est grand." Que penser d'une telle phrase? Et pourtant, whereas est
le mot préféré des profs d'anglais. Et on peut aller jusqu'à l'absurde avec les "in so far as", les "owing to his +V-ing"
et autres link-words adorés par les profs hélas dès le collège. Employez-vous fréquemment "subséquemment", ou "nonobstant" en français ?
Non, bien sûr ! Et pourtant ce sont des mots de ce niveau de langue que nous enseignons à nos élèves.
Il est temps d'admettre que nous faisons fausse route et de nous rendre compte que la langue que nous faisons travailler
en classe ne correspond pas à la réalité de l'anglais oral. Les phrases simples constituent l'essentiel de la langue
orale, les phrases complexes et les liens logiques doivent être cantonnés aux domaines dans lesquels ils sont
indispensables, comme par exemple le récit, ou l'argumentation, mais certainement pas dans la langue courante. La langue
du commentaire ou du style indirect à la 3ème personne n'est pas une priorité.
La langue n'est pas seulement un véhicule d'idées. Elle est d'abord et avant tout le vecteur par lequel passent les rapports humains. Elle véhicule tout autant des émotions que des idées.
Or cet aspect de la langue est totalement occulté dans l'enseignement de l'anglais en France. On fait commenter la valeur émotionnelle de telle ou telle forme linguistique trouvée dans
un document, mais on ne met quasiment jamais les élèves en position de s'entrainer à exprimer une émotion en anglais.
Dans l'étude d'un dialogue en collège, la méthode traditionnelle consiste à peu s'occuper de la réplique orale, qu'on ne sait pas vraiment comment exploiter autrement qu'en la faisant répéter, et
à la faire commenter à la 3ème personne du singulier. Ce qui revient de façon absurde à ne pas faire d'anglais oral réel et à faire oralement de l'anglais écrit.
Les contenus linguistiques des productions prévisibles des élèves, c'est-à-dire la "langue en acte" doivent revêtir les
caractéristiques de ce qui est énonciativement plausible en situation de communication. Il faut mettre à la disposition des élèves
les outils exacts de langue les rendant aptes à communiquer. Il convient donc de favoriser l'acquisition d'un maximum de
faits de langue communicatifs immédiatement disponibles. Avant d'apprendre à nos élèves "reproach with", peut-être faudrait-il s'assurer qu'ils savent faire
un reproche à quelqu'un à la 2ème personne du Singulier.
Le cours de langue
Le "Quoi" et le "Comment"
Dans une situation de classe traditionnelle, les élèves sont confrontés à un double défi : trouver ce que le professeur
attend qu'ils disent et trouver comment le dire. Ils doivent résoudre le "quoi" avant de s'intéresser au "comment".
Prendre la parole en anglais devant la classe, c'est donc prendre un double risque : se tromper de réponse et se tromper
dans la formulation en anglais. Comment peut-on espérer dans ces conditions qu'un élève adolescent puisse prendre un tel
risque? La peur du ridicule devant les camarades est souvent trop forte et prend le dessus sur un éventuel désir de parler.
Pire, s'ils ne savent pas quelle phrase ou quelle idée le professeur attend d'eux, s'ils n'ont pas compris le texte,
s'ils ne peuvent faire les repérages que le professeur leur demande de faire, ils ne sont même pas en mesure de rechercher
comment le dire.
Le résultat, c'est les classes d'élèves muets, baissant la tête pour éviter à tout prix de croiser le regard du
professeur, c'est les productions orales désespérément pauvres, c'est les 3 ou 4 élèves qui participent sur une classe de
30, c'est des élèves qui peuvent passer un trimestre entier sans avoir prononcé plus de 2 ou 3 phrases en anglais.
Il apparaît indispensable de supprimer l'obstacle du "quoi dire", afin de permettre aux élèves de se consacrer à la
recherche du "comment le dire" en anglais. En phase d'apprentissage, leur donner tous les éléments situationnels leur
permettant de savoir ce qu'ils ont à dire, c'est mettre les élèves, tous les élèves, dans la position de recherche d'une
formulation correspondant à la situation présentée, c'est les sécuriser et les mettre en position de prendre la parole,
de produire de l'anglais et donc de progresser. La libération de l'expression et l'autonomie langagière ne tomberont pas
du ciel, il faut auparavant créer les conditions d'un apprentissage efficace.
Le cours de langue
Les contraintes de temps
Les horaires actuels sont trop faibles pour faire fonctionner les processus d'acquisition :
3 heures hebdomadaires en moyenne de la 6ème à la 3ème, exception faite des classes dites "européennes" et
pire encore en lycée.
La lenteur caractérise toute activité qui nécessite un processus ou une reprise et une correction
en classe, notamment :
- la correction des exercices traditionnels des TD ou du livre, les exercices strictement grammaticaux sans
visée communicative, même s'ils en ont l'apparence par un aspect plus ou moins ludique,
- les fameux essais, pratiquement incorrigeables pour la plupart et dont la correction de toute façon ne
sert à rien puisqu'il y a rarement retour réflexif de l'élève sur les erreurs commises. Le professeur essaie, puis baisse les bras au bout d'un temps car la tâche est beaucoup trop lourde
et pour l'élève et pour le professeur, et démobilisateurs pour la plupart des élèves.
- les contrôles sommatifs en fin de chapitre ou d'unité, en général beaucoup trop longs et totalement
inutiles car au-delà de la capacité intellectuelle et mémorielle de l'élève moyen.
- les révisions plus ou moins périodiques de tel ou tel point de grammaire, quand le professeur
s'aperçoit que les élèves mélangent tout.
- la PRL, à la mode depuis quelques temps et qui s'apparente plus à un alibi pour faire de la grammaire dans
des cours tout en français.
Il faut trouver des systèmes qui accélèrent, qui luttent contre la lenteur des schémas traditionnels.
Les heures passées à corriger des exercices de grammaire ou de compréhension, à faire venir les élèves au
tableau, à leur faire lire un texte en classe, à faire écouter et réécouter le document pour les repérages,
l'écoute globale, sélective, etc. sont autant de temps perdu à des activités non productives et qui ne
garantissent pas l'apprentissage d'une compétence de production.
Le cours de langue
Le professeur d'anglais a horreur du vide
Et cette horreur du moment de silence le conduit à sauter sur la première main qui se lève. Certains élèves dont la
vivacité d'esprit leur permet de lever la main avant les autres finissent par monopoliser la parole, et les autres, soit se
démotivent, soit se cachent derrière l'idée rassurante qu'un autre aura répondu avant, et qu'ils ne seront pas
interrogés.
Il est nécessaire d'inventer un nouveau mode de fonctionnement de la classe où les élèves sont tous le plus souvent
possible en position de recherche d'une formulation possible, de multiplier ces occasions, de s'assurer que même s'ils ne
sont pas interrogés, ils ont quand même fait cette démarche de recherche.
Le cours de langue
La réflexion sur la langue
Le peu de connaissances grammaticales dans leur propre langue et l'absence de réflexion sur la langue en français font
que les élèves ne savent pas nommer la nature des mots et encore moins leur fonction. Cela ne favorise pas le travail de
raisonnement sur la langue en anglais, c'est-à-dire l'analyse du système de la langue, des opérations et des valeurs des
différents marqueurs.
Depuis le retour en force de la PRL, combien d'heures passées à expliquer le système de fonctionnement à des élèves
qui n'écoutent pas, qui n'ont pas l'âge pour conceptualiser le savoir métalinguistique, ou qui n'ont simplement pas la
capacité d'abstraction suffisante?
En réalité quand et comment les élèves apprennent-ils ? La plupart apprennent de manière incidente et inconsciente
pourvu qu'ils aient de multiples occasions d'utiliser la langue. Il faut bien admettre que la conscience plus ou moins
claire des principes de fonctionnement de la langue à un moment donné ne garantit pas absolument une utilisation ultérieure
de cette langue, il peut tout au plus en assurer un contrôle. Mais que dire de tous ces élèves qui croient avoir compris
dans l'instant de la découverte ou de l'explication mais qui oublient vite le système ou qui ne savent pas l'utiliser au
moment du besoin communicatif?
Il ne sert à rien de passer des cours entiers à leur expliquer en français puis faire moult exercices à la suite sur la
différence entre Present Perfect et Prétérit, et y passer 2 semaines jusqu'à faire mourir les élèves d'ennui. L'immense
majorité des élèves savent qu'il faut un "s" à la 3ème personne du Singulier, ou qu'on dit I'm fifteen, et non
I have 15 years, mais le savoir ne suffit pas. Combien de fois avons-nous vu des contrôles où l'élève réussit
l'exercice de grammaire sans une seule erreur, mais fait la faute trois lignes plus loin?
Bien au contraire, la solution que nous proposons consiste à présenter avec soin le point à travailler, afin de créer
chez les élèves une image mentale extrêmement claire, et ensuite, pendant toute l'année, à exposer les élèves à 10, 20, 50
énoncés où ce choix est fait, et les mettre 10, 20, 50 fois, dans des situations de communication où ils seront amenés à
faire ce choix. Ce que nous suggérons, c'est de multiplier les occasions de se confronter à un fait de langue, pas de le
surtravailler.
Les élèves d'aujourd'hui
Les élèves n'ont pas d'idées
Les élèves, surtout en collège, n'ont pratiquement pas d'idées, ils n'ont presque rien à dire, peu de sens
à exprimer. C'est la réalité de nos classes que nous pouvons constater quotidiennement, et c'est bien normal, pourquoi auraient-ils des
idées sur un sujet imposé par le professeur? On ne peut pas compter sur la tant espérée imagination
et créativité dans le cours de langue, du moins en ce qui concerne environ 80% des élèves.
Comment peut-on imaginer faire produire de l'anglais oral à des élèves s'ils ne savent pas quoi dire ? Si on n'a rien à dire, on se tait.
Et c'est bien ce que nous constatons dans nos classes.
Agir en conséquence c'est précisément donner aux élèves des idées (certains diront coloniser leur
imagination!) afin qu'ils puissent facilement passer du sens à la forme. En phase d'apprentissage et de
manipulation de la langue, il faut tout leur fournir : les idées, les mots, et la suggestion de la morpho-syntaxe.
Il ne suffit pas de donner un scénario pour une situation d'échange comme on en trouve dans les cahiers d'aide à
l'évaluation de la production orale.
Les élèves d'aujourd'hui
L'affectivité
Il est très difficile de faire dire "je" aux élèves. Peu d'élèves de 14-16 ans sont libérés des
problèmes de l'adolescence, et de plus ils n'ont pas la maîtrise du langage. Réemployer des structures ou du vocabulaire vu par rapport à leur vécu ou à leur expérience ou leur
préoccupations personnelles n'est donc pas forcément un gage de réussite, bien au contraire.
En revanche il leur est très facile de dire "je" par personnage interposé, autrement dit l’élève se
glisse à la place énonciative d’un autre et là ça marche, parce que quand ils ne sont pas personnellement
mis en cause, les élèves aiment parler anglais. Les élèves n'aiment pas parler d'eux mais ils apprécient
les situations dont ils pourraient être les principaux acteurs. Autrement dit il faut faire de la fiction,
du théâtre.
Les élèves d'aujourd'hui
La patience et l'attention
Il est de plus en plus difficile de faire faire des exercices répétitifs aux élèves. Ils ne s'y prêtent
plus, ils ne sont pas dociles, ils n'ont plus la patience de faire des gammes. Les exercices de grammaire à
n'en plus finir n'apportent rien d'autre qu'un ennui généralisé, et une démotivation devant des activités
qui ont perdu leur sens.
Il faut inventer des activités qui ont un intérêt réel pour eux et peuvent revêtir les
caractéristiques d'une communication plausible.
L'attention auditive est de plus en plus fragile. Dans une combinatoire classique de l'écoute d'un
enregistrement plus ou moins audible, souvent trop rapide, trop long, trop difficile, suivie immédiatement
de prises de parole souhaitées, combien d'élèves sont réellement impliqués sur un groupe d'une trentaine
environ ? 10% ? 20% au grand maximum. Que font les autres ?
Le cours de type audio oral traditionnel, où le professeur fait écouter, puis attend la ou les réactions,
dans une discipline acceptée par tous, avec patience et respect d'autrui, discipline de vie communautaire,
écoute attentive de l'autre, ne peut durer bien longtemps à l'heure actuelle. Comment
espérer une réaction à un enregistrement dont on n'est pas sûr qu'ils l'ont réellement écouté ?
Il faut donc agir en conséquence et s'adapter à leur niveau réel et à leur fonctionnement cérébral,
il faut proposer un schéma contextualisé, visualisé et adapté à leur capacité d'attention du moment.
"If you can't beat them, join them!"
Les élèves d'aujourd'hui
Hétérogénéité, comportement et responsabilité
Les classes sont très hétérogènes. Ça n'est guère une information nouvelle… Si on ne s'occupe pas de tout le monde, les
exclus finissent très vite par se manifester et par perturber le cours et les plus aptes par s'ennuyer. S'ils sont laissés inactifs et
livrés à eux-mêmes ne serait-ce que quelques secondes, les élèves bavardent à la moindre occasion et sans retenue en français.
Il faut parvenir à donner à tous, du plus faible au plus fort, du plus timide au plus "grande gueule" l'occasion de
s'essayer à prendre la parole pour progresser. Il faut donner du grain à moudre aux plus compétents, sans oublier d'aider
les plus faibles, dans la mesure de leurs moyens.
Le rythme entretenu dans le cours est un élément essentiel : pour qu'ils soient concentrés, ne leur laissons pas une
minute de répit. On a gagné quand la sonnerie retentit à la fin de l'heure et qu'on entend un élève dire :"Déjà?".
Le professeur ne doit pas s'épuiser, il doit avoir les outils pour faire fonctionner le groupe relativement facilement et
sans débauche d'énergie inutile. Maintenir un rythme rapide, c'est éviter l'émergence des conflits et c'est s'économiser.